Nouvelle, fortement amputée pour passer sous la barre des 12'000 signes, pour le concours littéraire de Meyrin. Peu de choses sont essentielles à une histoire et malheureusement, c'est celles-ci qui restent.
Comme pour le pseudo-Tétynons Ogma j'ai voulu alterner entre deux points de vue, paragraphe par paragraphe, un passez muscade qui hébète le lecteur suffisamment pour avoir l'air intelligent.
Si je finis le Troisième Testament, ça fera trois nouvelles.
Comme pour le pseudo-Tétynons Ogma j'ai voulu alterner entre deux points de vue, paragraphe par paragraphe, un passez muscade qui hébète le lecteur suffisamment pour avoir l'air intelligent.
Si je finis le Troisième Testament, ça fera trois nouvelles.
***
Absences
Une
terrasse.
Mélissa
n’avait pas de métier depuis qu’elle avait compris qu’un
salaire c’était de l’argent qu’on vous jetait pour que vous ne
bougiez pas. Elle avait décidé qu’à la place elle serait riche.
Tous
se demandait : comment saviez-vous pour le développement du solaire
? D’où investir autant en Ouzbékistan ? Cherchant malfaisance,
délit d’initié, complot, derrière ce qui était jusqu’ici un
talent infaillible à accumuler des opportunités. La richesse, elle,
en découlait.
Nul
ne savait pourquoi. Pas même Félix, qui l’abreuvait de parlote.
Elle
recopiait un texte :
…sang
vert contient du cuivre. Le champ électromagnétique génère le
charme qu’ils exercent sur les autres espèces. Peau toujours sous
tension. Ils sont donc sensibles aux métaux à haute conductance
(cuivre, argent, lithium) qui leurs font 3 + D5 dégâts/3secondes…
Une
silhouette monstrueuse dans la pénombre d’un donjon, armure
luisante de runes incandescentes.
Il
résume un grimoire marqué «TEЯRA» avec une petite plume :
…conquit
rapidement les puits du Nord-Ouest, renforçant le monopole pétrolier
kurde…
Au
bas, une armée. Victorieuse.
Le
soleil se couche.
Pétrole
Kurde, nota Melissa. Son stylo continua :
1483[III]
: Découverte de l’Orcanie par Visarion [navire d’argent]
1500-1700[III]
: Orcs discriminés ds la communauté elfique (farfadets, nains,
elfes, gnomes). Corresp. pas aux standards de beauté elf. Très
sensibles au charme
1685[II]
: 10% les plus pauvres = 95% d’Orcs
1692-6[III]
: Révoltes orques
Melissa
s’interrompit en prenant une gorgée de café.
«Maître
?
— Hm.
— Vous…
dormiez.
— En
effet, Sycorin.»
De
l’encre biffait ses écrits mêlés sur le cours du pétrole et les
révoltes orques. Il confondait de nouveau. Peu importe, maintenant
qu’il avait vaincu.
S’accoudant
au balcon, le Seigneur de la Foudre et du Feu contempla ses troupes,
dans leurs armures fraîchement forgées.
C’était
facile de haïr un orc.
Des
siècles d’écrasement. Mais il les avait coalisé Il avait
convaincu les Farfadets, les Gnomes — sans peine — que les Elfes
étaient causes premières de leur mal.
Au
milieu des hallebardes, le défilement des vaincus, dans leurs
carcans de cuivre. Et malgré la distance et la foule, un regard elfe
fut assez haineux pour accrocher celui du Seigneur.
«Sycorin
?»
Facile
de haïr un orc.
Mais
haïr un elfe, encore plus facile, songea-t-il en regardant
l’Archimage.
«Qu’on
me l’amène.»
«Mélissa
? Mélissa ?»
La
tasse de Melissa s’était arrêtée à mi-chemin. Elle se secoua et
regarda l’heure : deux minutes manquées. Du café avait versé sur
ses genoux. Elle avait bavé, aussi.
«Encore
une de tes absences ?
— Oui.»
Tapotement
sur la table.
Félix
était préoccupé, comme souvent. C’était un garçon foncièrement
orienté, aimanté, se déversant tout entier dans la discussion ou
dans le souci.
«J’en
ai toujours eu. Si j’évite de conduire des bulldozers ou jongler
avec des tronçonneuses…»
Le
café était calme. Félix rassembla une poignée de monnaie blanche
sur l’addition. Mélissa aurait payé d’un gros billet, plus par
flemme que par charité. Elle empaqueta les feuillets.
«Il
faut que tu saches,
Sycorin, je ne t’ai p
La
cellule brillait de cuivre verdi, enserrant l’elfe. Sa peau
crépitait.
«J’ai
gagné
— J’ai
remarqué, Maître.»
dit l’elfe. Nouvelle salve d’étincelles quand il frotta contre
sa laisse.
«Qu’est-ce
que je dois faire maintenant ?
— Ce
que vous voulez, Maître.
— Non,
c’est ce que vous
faisiez. Que dois-je
faire avec toute cette magie ?
— Votre
magie ? Du bricolage.
— Quand
on a été vaincu par ces «bricolages», on se tait.»
Silence.
«Je
crois qu’on a deviné la source de votre chance, maître… Ou
Mélissa, si ça peut simplifier.»
Le
Maître pâlit et courut hors de la prison aussi vite que lui
permettait son armure pleine de pointes et de plaques.
Dans
le cachot, les étincelles, au lieu de mourir au sol, rebondissent
sur les murs, se rassemblent, tourbillonnent, forment une sphère de
lumière qui se contracte en un point avant d’exploser, puissant
éclair traversant les plafonds vers la bibliothèque.
Où
se trouve le Maître.
«Il
faut que
je trouve…» dit-il, avant que l’éclair ne le fauche.
as
tout dit.» aurait-elle voulu dire. Mais
elle tombait, tombait.
Blancheur.
Ciel. Effondrée sur la route elle fixait les nuages entre les
immeubles. Loin, comme de derrière ses oreilles, la voix de Félix,
flou.
Jamais
avant. Pas de crises avec ses absences. Un liquide tiède — sang ?
— coulait de son nez et de ses oreilles et expliquait peut-être
pourquoi elle peinait à entendre Félix.
«…elle
m’a appelé Sycorin…»
Dans
l’ambulance, elle commença à discerner.
«Melissa
? Tu me reconnais ?
— Bien
sûr, ce serait le comble que je
t’oublie, toi qu
Heureusement
pour le Maitre, plutôt que des ambulances trimballant les malades,
les orcs avaient des mages thaumaturges qui rendaient des points de
vie
Entasser
du cuivre sur l’archimage jusqu’à le dissimuler l’avait calmé.
S’il recommençait pareil coup, on le coulerait dans un bloc du
métal tout en (si possible) le gardant vivant.
«Vous
jouez à TEЯRA ? demanda Sycorin en voyant le manuel carbonisé.
— Un
peu. Je m’intéresse aux loisirs des troupes.
— Pas
très revigorant. Il y a des jeux plus… adaptés à
l’entraînement.»
Défaut
orc, ne voir que l’utilité directe. Défaut elfique, à vrai dire.
«Dis,
Sycorin. Crois-tu qu’on peut jouer à un jeu de rôle dans un jeu
de rôle ?
— Eh
bien, maître, on joue pour s’amuser pas pour se casser la tête.
Quand je joue un secrétaire
qui a un patron
et que je décide de ne pas aller au bureau,
dit Sycorin en articulant les termes exotiques, Ca n’a pas de sens
sur TEЯRA mais ça fait rire autour de la table. Si vous jouez un
joueur, faut amuser quelqu’un que
vous êtes en train d’inventer.
— Et
ça n’est pas drôle ?»
Sycorin
réfléchit.
«Non.
Quand on comprend, on ne rit pas.
— Je
suis surpris que tu comprennes.
C’est de la haute magie.
— Maître,
je ne suis que votre hum
i
a toujours été là pour moi.» aurait-elle
dit, mais l’hôpital était moche et ils ne trouvèrent rien.
Saignement mystère.
«On
traite drôlement bien le néant.» nota Melissa devant son
ordonnance, que l’absence de diagnostic n’empêchait pas de
prescrire moult pilules.
Quand
ils furent en sécurité, ils reprirent leurs plans de voyage,
complexes vu leurs préférences pour les crises sanitaires,
territoriales ou culturelles qui durent un demi-siècle et tuent en
permanence, mais pas trop, sinon la partie s’arrêterait , faute de
joueurs et qu’ils s’amusaient à résoudre.
Question
de ressources, et Mélissa en avait moult. Elle se concentrait dès
lors sur
ble
serviteur.»
Ca
devenait pesant.
Les
transitions arrivaient en dormant. Là, c’est toujours au milieu
d’une phrase.
…Mais
pas n’importe quelles phrases.
Il
inscrivit :
…Il
faut que tu saches…
…qu’on
me l’amène…
…que
tu comprennes…
…Il
faut que je trouve…
saches,
amène, comprennes, trouve.
Il
prit une feuille sur laquelle il avait griffonné de mémoire les
runes étranges qu’il utilisait en tant que Mélissa. Il avait
tellement de mal à les lire. Tellement de mal à faire passer quoi
que ce soit d’un monde à l’autre. Mais c’était comme ça
qu’il était où il — ou elle — en était.
Sur
le sol de la cellule, l’archimage vit le papier atterrir devant lui
:
Le
subjonctif est un mode grammatical exprimant un fait pensé ou
imaginé (opinion, fait irréel, incertain ou simplement envisagé)
Il
sourit.
«C’est
ça qui me fait changer de monde ?»
Sourire,
toujours.
«Ce
n’est que du…langage.
— Dans
ce temps verbal il reste… beaucoup de puissance. Cristallisée
quand le monde n’était que
langage. Ca amincit les parois entre les mondes, ça suffit à faire
basculer.
— Vers
le monde des hommes ?
— Oui.
— Ca
s’est déjà produit ? Des gens… Comme moi ?
— Oui.
— Visarion.»
devina l’orc. «C’est pour ça : il connaissait l’Orcanie avant
d’y venir.
— Oui.
Tu n’es pas seul à faire le saut…
Félix
il faut que je te parle de ce que
Quand
j’ai
tombé
Oui
Il
faut que
tombé
une campagne de jeu de rôle
te
parles Sycorin
«Félix
!» Mélissa
bondit.
Il
arriva de la salle de bain, elle se jette dans ses bras. Où on est ?
Mais, en Jordanie. Le train magnétique, tu sais, contre le truc
chiite.
«On
devait pas faire ça avant septembre !
— On
est
en septembre.»
Un
mois entier loin.
«Félix,
mes «dons»… Je peux pas mourir sans te dire.» Elle pleurait.
Il
était de marbre.
«Est-ce
que ça concerne des des elfes, le seigneur du Feu ?
— Comment
tu…
— Tu
m’as
déjà raconté.»
Il
la prit délicatement dans un taxi vers l’aéroport.
«Et
je t’ai dit : tu es surmenée, il ne faut pas prendre ça au
sérieux. Le monde réel, c’est celui qui a des conséquences. Ici.
Avec moi. Je t’ai laissé faire ton armure
pour te rassurer, mais la vie continue…»
Mélissa
soupira. Il avait raison. Les orcs, les elfes étaient plus fictifs
que les humains. Les elfes étaient partout dans notre culture,
tandis que les elfiques n’avaient pas vraiment de…
Ce
chauffeur de taxi avait des oreilles drôlement pointues.
La
stupeur de Mélissa prévint Félix, qui dévia le canon que l’elfe
brandit.
La
voiture sortit de la route, défonça une balustrade et puis plus
rien.
Enfin,
quelques instants de rien, avant que le toit ne s'enfonce de quarante
centimètres quand le sol vint le frapper.
Toutes
les chaînes du mage volèrent en éclat.
«Non.
Le cuivre…
— picote
vaguement, à mon niveau.»
Un
quart de la tour fut pulvérisé par le blast
suivant.
Dans
les débris, les rares survivants, dont Sycorin, virent le Maître et
l’Archimage lutter au corps à corps.
Sans
pitié.
«Ils
m’ont envoyé un putain d’assassin»
Les
roues tournaient comiquement dans les airs..
Félix
s’était cassé les deux jambes et refusait de croire ce qu’il
voyait.
Mélissa
tira la lèvre de l’elfe mort pour montrer les crocs métalliques.
Il crut subitement toute l’histoire.
«Il
faut t’amener à l’hôpital.
— Mélissa…
— J’ai
toujours cru que ce
monde-ci était
calme. Ca a changé. Plus d’assassins vont venir. Vais avoir besoin
de muscles.»
Elle
avait mis l’armure.
«Je
suis désolée. Je sais pas si ça va…»
…le
Maître tente d’écraser le crâne…
…Mélissa
étend le bras…
Les
deux mains se joignent
«Qu'il
en soit ainsi !»
crient-ils ensemble, subjonctifs conjugués.
Puis
la foudre détruit tous les planchers, tous les murs.
Félix
gisait, sans alternative.
A
la place de son amie, un géant vert muni d'une armure très…
pointue. Il en enleva une épaule pour mettre Félix dessus sans
l’empaler.
Il
courut plusieurs kilomètres, vers la ville, vers l'hôpital.
Du
sang verdâtre dans son sillage.
Melissa
émergea en scaphandre des restes de la bibliothèque.
«Toi.»
L’elfe
avançait dans les débris.
«Tricheuse
qui n'est là que parce que tu as lu les règles. Mais tu n'es plus
un problème, surtout sous cette forme.»
Il
l'attrapa par les épaules et la foudroya.
«Je
n’ai pas vaincu en trichant.»
L’elfe
regardait ses mains brûlées.
Une
gemme de Lithium aiguisée le planta au cou. Sang et lumière en
jaillirent alors qu'il reculait sur les poutres dénudées de la
tour.
«Supraconducteurs»
dit-elle. Son gant carbonise le bras elfique enserré.
«Les
manuels aident. Mais sur terre j’ai vaincu en pensant «orc». Et
pour t’écraser ?»
Il tenta de la tacler, sa peau se disloqua
contre les protections.
«En
étant humaine.»
Coup
dans le ventre.
«Nos
organismes ne sont pas si solides. Nos sociétés pas si stables.»
Ses
pouces crèvent les yeux du mage.
«Pas
de points de vie qui s’ôtent régulièrement jusqu’à ce qu’on
meure. Une artère, le mauvais os, un pillage c’est tout ce qu’il
faut pour revenir au néant.»
A
coups doublés, elle l’envoya tituber jusqu’aux escaliers
intacts.
«Alors
on invente des structures irrationnelles. L’armée. La famille.
Tant de sacrifices : on ne peut plus ouvrir sa gueule dans les
rangs.»
Elle
le poussa dans les marches.
«Mais
qu’est-ce qu’on est efficace quand on doit se taire.»
Aveugle,
l’elfe ne pouvait voir les reflets du cuivre qui fondait dans
l’énorme cuve mais il sentit la fonderie.
«Tu
renverses ça, tu meurs avec moi. Sans toi ils ne sauront pas quoi
faire. Ils détruiront ton monde… Tu vas te sacrifier pour… pour…
– Oh
non.» Elle sourit. «C'est toi qui n'a qu'un seul corps.»
La
cuve culbuta dans un grand «GLOUB» sourd.
Félix
plâtré, l'orc vint le chercher à l'hôpital.
«Mélissa
?
– Oui.»
Et
ça lui suffisait.